L’association La Dent Bleue de représentation de la patientèle du dentaire s’est créée dans le sillage du Collectif contre Dentexia, qui a rassemblé près de 4000 victimes des centres dentaires de la franchise Dentexia (une association « loi Bachelot » liquidée en 2016). Alors que le Collectif contre Dentexia a pu obtenir de haute lutte le déblocage d’une aide exceptionnelle de la part du Ministère de la Santé, il n’a jamais pu glaner du Ministère de la Justice autre chose que l’ouverture d’une instruction judiciaire…au point mort ou presque depuis 8 ans. Suite à nos sollicitations répétées, le Juge d’instruction en charge du volet sanitaire du scandale a pour la première fois accepté de nous recevoir, le vendredi 3 mai 2024 à 10h, pour faire un point. Nous serons attentifs aux informations et signaux (apparemment défavorables) qui nous seront transmis, tant leurs répercussions pourraient affecter toute la sphère du dentaire et celui du droit médical dans son ensemble.
Le 26 avril 2024
La liquidation des centres dentaires associatifs à bas coût Dentexia a démontré que l’application aberrante à la médecine bucco-dentaire de procédés industriels (d’abattage) et néo-managériaux (de course à la rentabilité) pouvait se solder par un fiasco sanitaire et une grande souffrance psycho-sociale. Si l’affaire Dentexia est si importante, c’est qu’elle a valeur à la fois de stigmate et de sentinelle dans un paysage médico-dentaire troublé par des lois suboptimales (comme la Loi Bachelot de 2009, imparfaitement corrigée en 2023 par la Loi Khattabi grâce à l’opiniatreté de plusieurs protagonistes dont notre association) et des jeux d’influence faisant peu de cas de l’intérêt de la patientèle. L’affaire Dentexia (résumée ici) a logiquement précédé la survenue d’autres scandales (comme ceux de Proxidentaire en 2021 et de Bloomsquare Studio en 2023, pour ne citer qu’eux), qui ont à chaque fois produit leur lot de victimes.
Qui dit « victimes » dit « responsable(s) »
Suite à un rapport lucide et bien étayé de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) paru en 2016, le Ministère de la Santé a reconnu sa part de responsabilité dans le drame sanitaire provoqué par la liquidation de Dentexia et a cherché à répondre à l’urgence de soigner les victimes par le biais du déblocage d’une aide exceptionnelle. Cette aide ne correspond aucunement à une indemnisation des victimes puisqu’elle a été versée aux dentistes acceptant de reprendre les chantiers dentaires. Son circuit a également été particulier (pour éviter toute collusion avec les pouvoirs relevant du Ministère de la Justice) car la solidarité nationale a été activée par le biais d’une mobilisation du Fonds National Action Sanitaire Sociale (FNASS) de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie. Si le montant débloqué peut paraître proportionné (1.5 millions d’euros pour environ 500 victimes), nous savons à La Dent Bleue que de nombreux(ses) patient(e)s n’ont pas eu l’opportunité d’en bénéficier, du fait de clauses d’octroi extrêmement stringentes et du caractère inédit du scandale (qui a empêché tout recul sur le dispositif à implémenter et toute projection dans le temps long des années post-liquidation).
Quid de la Justice ?
Une information judiciaire contre X a été ouverte fin 2016 suite au dépôt de plus de 1500 plaintes avec constitution de partie civile, adressées (sur recommandation du Collectif contre Dentexia afin de les centraliser) au Tribunal de Grande Instance de Paris. Un constat s’impose : il s’agit du plus grand scandale ayant touché le secteur dentaire en France (avec un niveau comparable à l’affaire Funnydent en Espagne). Les arrêts de la Cour d’Appel de Paris listent plus de 70 pages de plaignant(e)s ! L’ampleur du scandale Dentexia mérite l’attention tant il évoque ceux du Médiator ou des prothèses PIP (ainsi que dans une moindre mesure de la Dépakine). Cependant, la ressemblance s’arrête là, au seul aspect quantitatif : le procès Dentexia n’est pas celui d’un médicament ou d’un dispositif médical. En plus des volets sanitaire et législatif, l’affaire Dentexia revêt en effet de multiples autres dimensions : commerciales, financières, bancaires, assurantielles et juridiques, souvent intriquées. Les chefs d’accusation retenus par l’instruction sont explicites à cet égard : pratique commerciale trompeuse et tromperie aggravée ; blanchiment en bande organisée ; banqueroute ; abus de confiance ; abus de biens sociaux ; fraude fiscale ; escroquerie en bande organisée ; exercice illégal de la profession de chirurgien-dentiste ; violences suivies de mutilations ou infirmité permanente ; blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois.
Informées du fait que le procès des dentistes « Guedj » a pris dix longues années, les victimes de Dentexia comprennent fort bien que la Justice puisse prendre du temps, que celle-ci cherche à identifier méticuleusement quelles fautes ont été commises et que le discernement soit de mise pour ce qui est d’identifier et de punir les coupables. Néanmoins, nous n’avons de cesse depuis plusieurs années d’exprimer notre inquiétude quant à la tenue d’un procès en bonne et due forme. Nous estimons que nos craintes sont fondées car les signaux qui nous sont parvenus jusqu’à présent ne nous mettent pas en confiance. D’abord, les deux Vice-Présidentes chargées de l’instruction ont été remplacées en cours d’instruction par deux nouveaux Vice-Présidents, moins au courant du déroulé historique du scandale et qui ont donc eu à s’approprier de novo toutes les composantes de l’affaire. Avant de quitter ses fonctions, l’une des deux Vice-Présidentes nous avait confié manquer de moyens (a priori humains) pour faire avancer l’enquête. Le 3 mai 2024, c’est avec le Premier Vice-Président chargé du volet sanitaire que trois membres du Conseil d’Administration de La Dent Bleue ont rendez-vous. Or, des confidences de couloir nous ont renseigné sur le fait que ce dernier prévoyait de délaisser le motif d’inculpation le plus important en termes de préjudice et de droit médical : la qualification en violences volontaires ayant entraîné une mutilation. Cette décision, si elle se confirme, serait incompréhensible eu égard au nombre de victimes de Dentexia ayant subi des extractions et des dévitalisations abusives (ce que viennent corroborer quantité d’expertises passées depuis 2016). Une telle décision oblitérerait toute possibilité pour les victimes d’émarger à une aide de la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI), ce qui serait dramatique pour nombre d’entre elles au plan financier mais aussi psychologique (leurs souffrances étant de fait invisibilisées). Enfin, une telle décision ferait à n’en pas douter le terreau d’autres scandales : si aucune décision de justice ne vient punir les responsables de mauvais soins dentaires et indemniser les victimes dans pareille affaire, qu’en sera-t-il demain dans le cadre d’autres scandales (survenus ou, malheureusement, encore à venir) ? Un tel positionnement signifie-t-il que la Justice privilégie uniquement le volet financier de l’affaire (parce que plus solvable pour les créanciers, au premier chef desquels se trouve l’Etat) ?
Que voulons-nous aujourd’hui, en tant que victimes, patient(e)s et citoyen(ne)s ?
Nous ne reviendrons pas ici sur le parcours du combattant des victimes de parcours dentaires fautifs en France, qui ne disposent d’aucune boussole pour se repérer dans la forêt des démarches amiables, civiles et pénales qui les concernent. Perdues et découragées, nombre de victimes du dentaire abandonnent les procédures avant même d’avoir déposé la moindre saisine ou plainte, et celles qui obtiennent une compensation (souvent au bout d’un chemin de croix de plusieurs années) voient systématiquement leurs préjudices (corporel et psychologique) minimisés par rapport aux autres domaines relevant du droit pénal médical. Cette situation est par ailleurs obscurcie par les circuits faisant intervenir des « experts », des « cabinets d’avocats » et autres « corps intermédiaires » (Conseils ordinaux, syndicats…), dont les intérêts ou les perspectives ne recoupent pas tout à fait ceux des victimes, ces dernières cherchant avant tout à être reconnues comme telles et restaurées dans leur dignité. Les indemnisations sont cruciales à cet effet. Ceci étant, la compensation financière du préjudice, pour importante qu’elle soit lorsqu’elle intervient, ne suffit généralement pas à apaiser la rancœur et la revendication de la victime et de son entourage. Les aménagements législatifs, pour globaux et utiles qu’ils soient collectivement parlant, ne parlent quant à eux pas directement à l’individu-devenu-victime. Le supplément qui doit être apporté pour permettre à une victime de quitter son statut de victime correspond précisément au socle essentiel sur lequel il convient de ne jamais rogner : que les autorités lui reconnaissent officiellement et sans équivoque le fait d’avoir souffert, d’avoir été mutilée, abusée, escroquée, etc. et que tous les responsables soient confrontés (qu’on leur donne la possibilité de s’expliquer) et poursuivis (s’ils ont fauté).
Le fait que le dossier d’instruction soit « massif », « lourd » ou « tentaculaire » ne doit pas servir de prétexte pour l’éluder ou le disqualifier, voire pour faire aboutir l’enquête sur un non-lieu (ce qui représenterait pour nous le scénario du pire). On devrait même s'attendre à l’inverse : c’est parce que les victimes de Dentexia sont nombreuses et hétérogènes qu’il est nécessaire de faire toute la lumière sur les dérives et manquements qui ont mené aux scandales sanitaire et financier que l’on connait. Aux scandales sanitaire et financier, il ne faudrait pas ajouter un scandale judiciaire. Quelle Justice digne de ce nom s’affranchirait d’établir des responsabilités et d’examiner des liens de causalité sous prétexte que le dossier est complexe ? Non seulement nous tenons à ce que le procès Dentexia ait lieu mais aussi à ce qu’il soit exemplaire : que les dentistes fautifs soient inquiétés, que les gestionnaires de centre soient poursuivis, que les dirigeants soient punis et que les membres les plus zélés des équipes commerciales et médicales soient mis face à leurs responsabilités. Il ne peut en être autrement, sauf à vouloir fonder une jurisprudence délétère : en lançant le message que n’importe quel professionnel du dentaire (et au-delà, du « marché » de la santé) peu scrupuleux pourrait voir ses agissements répréhensibles passer sous le radar de l’autorité judiciaire. A l’heure où l’Assurance Maladie s’est lancée dans une vague sans précédent de déconventionnement de centres de santé dentaires, les risques encourus par la patientèle ont un caractère systémique (nous sommes loin avec Dentexia du « boucher de Nevers»). Il est devenu nécessaire de responsabiliser tous les maillons de la chaîne : du dentiste au dirigeant, en passant par les gestionnaires de centre, l’assistant(e) dentaire ou commercial(e) ainsi que les fournisseurs. Même si la majorité de ces protagonistes exercent leur métier avec éthique et passion, le message doit clairement percoler qu’aucun crime ou délit ne restera impuni, et qu’il ne sera fait l’impasse sur aucune contravention ou sanction.
Il serait dramatique que justice ne soit pas rendue dans le cadre du plus grand scandale dentaire français. Pour les générations de patient(e)s actuelles et à venir. Nous ne l’accepterons pas.
Solidairement,
La Dent Bleue, première association française créée par et pour la patientèle du dentaire | contact@ladentbleue.org
Si le procès n à pas lieu ce sera une honte de plus pour la justice qui rarement prend une bonne décision pour les victimes elles préfère trouver des excuses aux coupables ils ne veulent pas comprendre toutes les horreurs que nous avons vecues