Le 15e Congrès de la profession une nouvelle fois dans les starting-blocks, la voix des usagers sera-t-elle comme toujours mise à l’écart ?
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Docteur(e)s, congressistes CDF,
La Dent Bleue est aujourd’hui la seule association française indépendante créée par et pour la patientèle du dentaire. Née du regroupement des victimes des scandales que votre profession connait bien car elle en est témoin (Dentexia, Proxidentaire…), l’association a évolué vers la représentation de l’ensemble des usagers du secteur sur tout le territoire national, quels que soient les statuts juridiques des établissements de santé qui les accueillent et leur mode d’exercice de la dentisterie.
En médecine dentaire, une dent bleue, c’est une dent qui a perdu toute vitalité. Pour notre association, c’est tout l’inverse : chaque initiale de La Dent Bleue renvoie à un combat devenu pour nous vital.
Lobbying : au sens le plus noble, qui est celui d’influencer (au profit des patient.e.s) les pratiques des professionnels et les décisions des pouvoirs publics et des organismes en charge de l’abondante réglementation qui régit votre domaine professionnel. En tant que syndicat, le premier de la profession en nombre d’adhérent.e.s, vous faites de même (au profit cette fois-ci des chirurgiens-dentistes). Pourtant, il n’est pas dit que nos analyses, nos aspirations, nos revendications, voire nos intérêts doivent systématiquement diverger. Au contraire. Nous en voulons pour preuve nos luttes parallèles afin que soient mieux encadrées, au plan législatif, la création et l’activité des centres de santé que l’on a vu proliférer ces dernières années. Alors qu’elles semblent disjointes, nos luttes convergent en réalité sur de nombreux aspects, notamment en matière d’éthique (médicale et financière).
Défense : les affaires, les scandales qui ont défrayé la chronique prouvent que les intérêts des patients doivent être mieux pris en compte. De tous les domaines de soins, le dentaire est sans doute le seul qui, jusqu’à présent, ait échappé à l’intervention collective des patients. La Dent Bleue entend combler ce manque, en redonnant d’abord aux usagers la centralité qu’ils/elles devraient occuper dans tout système de santé. Il nous paraît à la fois rationnel et légitime de militer pour que la patientèle soit mise au cœur (des préoccupations) du secteur dentaire, puisque ce sont des patient.e.s qu’il s’agit de soigner (et non une maladie, encore moins un modèle économique, un corpus réglementaire, une corporation ou une structure juridique). Il nous semble par ailleurs que la capacité des usagers du dentaire à rétroagir positivement sur le système de soins n’a pas été appréciée à son juste niveau. Cette rétroaction positive peut prendre la forme d’une analyse plus efficace des dérives du secteur. Outre les remontées de patient(e)s, c’est l’ambition de la plateforme DentalLeaks, que nous avons récemment lancée sur le modèle WikiLeaks, invitant les professionnels (œuvrant dans la sphère du dentaire ou au sein d’une organisation) à transmettre de manière sécurisée et anonyme tout document d’intérêt général qui, après vérification, sera communiqué aux autorités et tutelles de santé.
Bonnes pratiques enfin, pour favoriser la confiance, d’abord circonscrite aux rapports entre praticiens et patients, mais qui s’étend en réalité à tous les protagonistes du secteur (autorités de tutelle, organismes sociaux, assureurs, financeurs des soins) et forme la condition sine qua non de l’alliance thérapeutique élargie qu’il s’agirait de mettre en place autour des usagers. Nous ne nous attarderons pas ici sur les dispositions qui devraient s’imposer aux plans prophylactique (hygiène), thérapeutique (consentement éclairé), économique (conditions d’encaissement), matériel (ex : traçabilité), réglementaire (ex : stérilisation) et en cas de litige (voies de recours). Vous êtes attachés à un exercice libéral. En tant que patients, nous n’avons rien contre, surtout que votre déontologie professionnelle entend laisser votre exercice en dehors du marché. Cependant, certains faits nous rattrapent, comme la cherté des soins dentaires (ceux dits de qualité) et leur relative inaccessibilité pour la frange de la patientèle la plus en besoin de traitements globaux (prothèses sur implants), une situation que n’a pas solutionnée le panier 100% Santé et qui fait le lit du low-cost, du tourisme dentaire, quand ce n’est pas celui du renoncement aux soins. Comme l’a bien expliqué Olivier Cyran (membre d’honneur de notre association) dans son livre « Sur les dents : ce qu’elles disent de nous et de la guerre sociale », le modèle actuel tend à favoriser l’implantologie et la prothétique au détriment des actes de prévention et de soins. Alors même que la vocation première des soins bucco-dentaires est de conserver et de soigner les dents. Ce constat implique de réfléchir à la revalorisation des soins dentaires courants (que ces derniers soient préventifs ou curatifs) ainsi qu’aux limites de la tarification à l’acte. Les négociations conventionnelles récentes et à venir doivent parvenir à imposer un changement de paradigme. Il nous tient à cœur de respecter le principe fondateur de la Sécurité Sociale, chacun contribuant selon ses moyens et recevant selon ses besoins, tout en réfléchissant à de nouvelles voies de financement de la santé dentaire et de contrôle des risques et abus (par exemple en orthodontie ou en lien avec l’exercice de la profession d’assistant dentaire qualifié).
Le message de notre association à votre profession à l’occasion du présent Congrès est d’appeler à une plus grande co-construction du système de soins en matière dentaire. Parmi les enjeux que nous avons identifiés, outre l’hygiène et la prévention, se trouve l’évaluation de la qualité des soins, qui suppose le contrôle a priori comme a posteriori des plans de traitement et des actes, notamment les plus lourds sur le plan financier ou susceptibles par leur irréversibilité d’hypothéquer la santé des patients. Les remontées qui nous parviennent nous donnent à penser que la sinistralité (évaluée en moyenne à 7%, selon le dernier rapport de la MACSF) est sous-estimée. Parce qu’ils impactent douloureusement et durablement les patients, tout en représentant un coût substantiel pour la collectivité, les incidents émaillant les parcours de soins ne devraient pas être considérés comme de simples aléas thérapeutiques. Parce qu’ils peuvent être le fait à la fois de centres de santé dentaire mais aussi de cabinets libéraux, l’appréhension de ces sinistres représente un défi transversal. Pour la patientèle, ce défi se traduit trop souvent par des difficultés (parfois insurmontables) à trouver les bonnes informations et les leviers adéquats pour faire valoir ses droits, ainsi que les fonds et un cabinet pour poursuivre le chantier dentaire, à supposer que la confiance et l’énergie de se réinscrire dans un parcours de soins soient encore au rendez-vous. Cette confiance, si elle peut être mise à mal par des centres de santé crapuleux (la majorité jouant leur rôle médico-social) ou par tel ou tel dentiste négligent (la plupart ne l’étant pas), l’est tout autant par l’application déraisonnée du principe de la confraternité (empêchant l’un.e des vôtres de décrier le travail d’un confrère ou d’une consœur).
Les sujets que nous avons listés feront certainement l’objet de débats à l’occasion de votre Congrès, sans que vous n’ayez besoin qu’une association d’usagers vous les rappelle. Il nous a toutefois paru important d’attirer votre attention sur le fait que la patientèle du dentaire a non seulement démontré sa capacité à s’autoorganiser (à l’occasion des récents scandales), mais qu’elle est en outre en mesure de s’approprier les problématiques qui la concernent. Loin de vouloir se substituer aux professionnels, elle poursuit son chemin propre : sa trajectoire d’encapacitation.
Comme nous avons à cœur de nous inscrire dans l’action, nous profitons de ce billet pour lancer un appel à vos dons solidaires. Deux projets nous tiennent particulièrement à cœur : d’abord, accompagner les victimes en détresse et les patient.e.s rencontrant des difficultés grâce à la mise en place d’une permanence d’écoute téléphonique ; ensuite, développer des collaborations (avec des professionnels engagés, des influenceurs-euses et des étudiant.e.s) afin de créer un site web de référence permettant de promouvoir l’éducation thérapeutique des patients (en déjouant la désinformation) et de stimuler de multiples partages et synergies.
Nous vous remercions pour votre attention et nous tenons à votre disposition pour tout échange à venir.
Solidairement,
La Dent Bleue, première association française créée par et pour la patientèle du dentaire | associationladentbleue@gmail.com