En amont d’une grève prévue le 14 mai 2024 à Saint-Brieuc pour protester contre l’achat de prothèses en Chine (voir également le communiqué de presse de l'association Perspectives Dentaires), des salarié.e.s du Groupe VYV avaient contacté l’association La Dent Bleue pour exprimer leur indignation face aux pratiques du 1er acteur mutualiste de santé et de protection sociale en France. Alors que cet acteur se targue de n’avoir « qu’un seul moteur : l’humain » et une « ambition majeure : développer une offre de soins […] adaptée aux besoins de chacun », ces employé.e.s dénoncent un nouveau mode de rémunération des chirurgiens-dentistes trompeur et à l’orientation mercantile. Les preuves sont apportées d’un pilotage par « tableau de bord » de l’activité médicale (c’est-à-dire selon des métriques de performance), à l’instar des centres de santé associatifs déviants. La Dent Bleue exige depuis plusieurs années* que l’activité des dentistes et de leurs équipes médicales soit dégagée de tout objectif de rentabilité, un élément connu pour produire du risque pour la patientèle (surtraitements, mutilations). Notre association demande des explications et s’inquiète de possibles conflits d’intérêt.
*Voir le point n°2 de notre Note de position intitulée « 20 POINTS-CLÉS POUR AMÉLIORER LE SECTEUR DE LA SANTÉ BUCCO-DENTAIRE EN FRANCE DEPUIS LA PERSPECTIVE PATIENT ».
Le 08 mai 2024
Je travaille dans un centre dentaire mutualiste. Les centres dentaires mutualistes sont dans le sillage des centres associatifs et passent donc inaperçus. Vous trouverez ci-dessous et en pièces jointes les éléments que nous avons pu récolter avec des consœurs et confrères. Le centre dentaire où j'exerce était initialement de la Mutualité Française mais qui a opéré un changement de nom et s’appelle le groupe VYV. Avec des consœurs et confrères, nous avons remarqué plusieurs dérives de la part de la direction. Nous avons essayé en vain de les corriger. Nous avons même été en grève. Peut-être que vous arriverez à faire changer les choses.
La rémunération des dentistes est un pourcentage sur les actes facturés. Je ne vais pas revenir sur ce système même si je suis gênée par cette façon de gagner ma vie, mais nous souhaitons plutôt vous informer des dérives des centres dits mutualistes.
Depuis l’année dernière, la direction veut mettre en place un nouveau système de rémunération (pièce jointe 1). Ce système est pernicieux et trompeur :
- en dessous d’un seuil de « chiffre d’affaire » mensuel (10.000€) les dentistes sont payés au SMIC horaire (1.747€ brut)
- entre deux seuils (de 10.000€ à 15.000€ générés par mois) les dentistes sont payés un salaire fixe (2.727€ brut)
- au-dessus du seuil supérieur (15.000€ facturés par mois) les dentistes sont payés un pourcentage variable selon l’ancienneté (29,9% à 30,91%).
Ce système de rémunération pose deux problèmes :
Problème 1 : Il s’agit d’un problème déontologique. Le code de déontologie des chirurgiens-dentistes indique : « En cas d'exercice salarié, la rémunération du chirurgien-dentiste ne peut être fondée sur des normes de productivité et de rendement qui seraient susceptibles de nuire à la qualité des soins et de porter atteinte à l'indépendance professionnelle du praticien ». Il est retranscrit dans le Code de Santé Publique avec l'article R4127-249. Ce nouveau système de rémunération a été contesté auprès de la direction qui persiste et insiste pour que nous signons l’avenant au contrat. La direction va même plus loin en l’imposant aux nouveaux dentistes embauchés.
L’article de loi en indique également : « Le conseil de l'ordre veille à ce que les dispositions du contrat respectent les principes édictés par la loi et le présent code de déontologie ». Nous avons donc informé le conseil de l’ordre. J’ai reçu une première réponse de l’ordre départemental (pièce jointe 2) qui écrit : « La nouvelle rémunération proposée est effectivement fondée sur des normes de productivité et de rendement susceptibles de nuire à la qualité des soins de porter atteinte à l'indépendance professionnelle du praticien et donc contraire aux dispositions de l'article R.4127-249 du code de la santé publique ».
Une consoeur a également reçu un courrier de l'ordre départemental qui dit que sa rémunération chez VYV est illégale (pièce jointe 2bis).
Sauf qu’il ne se passe rien après. Pire encore, la réponse de l’ordre national n’est jamais venue pour confirmer. La direction nous a indiqué à l’oral que l’ordre national a validé le nouveau système de rémunération. Nous avons compris qu’il existe des liens politiques entre le groupe VYV et l’ordre national, ce qui explique l’inaction de ces derniers.
Problème 2 : Il s’agit d’un problème d’honnêteté. Le nouveau système de rémunération fait miroiter un meilleur pourcentage que ce que nous avons actuellement. Or il s’agit d’un piège.
En effet, le nouveau pourcentage, non seulement se déclenche après un certain seuil (15.000€ générés par mois) mais surtout, il ne s’applique que sur la part de chiffre d’affaires qui dépasse le seuil.
Exemples :
- avec un pourcentage de 25%, si nous générons 20.000€, nous touchons 25% brut de cette somme, soit 5.000€
- le nouveau système donne l’impression qu’avec un pourcentage de 30,91% nous allons toucher 30,91% de 20.000€ soit 6.182€
- et bien pas du tout, de 0 à 15.000€ nous touchons 2.727€ et pour ce qui dépasse les 15.000€ c’est à dire 20.000€ - 15.000€ = 5.000€ la rémunération est de 30,91% de 5.000€ soit 1.545€, au total cela fait 4.272€.
Vous avez bien lu, avec le nouveau système la direction nous fait croire que l’on va gagner plus alors que nous allons gagner moins. Pire encore, en faisant le calcul, il faut générer plus de 30.000€ par mois juste pour retrouver le même pourcentage. Il s’agit d’une course au chiffre d’affaires.
La direction exerce sur nous une pression basée sur les chiffres. Parfois ces chiffres sont truqués pour nous manipuler. En effet, nous recevons tous les mois des indicateurs financiers (pièces jointes 3 et 3bis) avec un classement sordide. Dans la page 13, il y a un tableau intitulé « Cumul Chiffre d’Affaires 12 mois glissants ». Le graphique montre une dégringolade jusqu’à 0. Nous avons constaté que le tableau est truqué, l’axe des ordonnées démarre à 21 millions d’euros ! Si le tableau était honnête, l’ordonnée serait à 0 et la diminution de 23.000.000€ à 21.000.000€ serait négligeable (environ 8%). Au lieu de ça, la direction fait croire à une chute catastrophique du chiffres d’affaires. Je suis ulcérée par leurs pratiques mais cela ne s’arrête pas là. Juste en dessous, la direction a fait un classement des meilleurs « magasins » selon la « performance du mois ». Nous, professionnels de santé, sommes classés selon nos « performances financières » et nous travaillons dans des « magasins ». Je suis plus qu’outrée par leur démarche.
Leur déni est sans limite car on peut lire dans les commentaires des évaluations basées sur les chiffres et le constat du manque de recrutements dans les départements limitrophes alors qu’ils imposent un système de rémunération malhonnête aux nouvelles personnes embauchées. Celles-ci sont découragées et partent, confirmant ainsi la désertification médicale.
Nous recevons également des procès-verbaux du CSE (Procès Verbal du Comité Social et Economique). Comme évoqué précédemment, la direction affirme ses intentions depuis l’année dernière, dans un des rapports (pièce jointe 4), on peut lire à partir de la page 11 leurs intentions :
- « Il s’agit également de faire face à la concurrence des centres associatifs à but lucratif… »
- « Ce nouveau modèle vise donc à inciter les praticiens à réaliser un chiffre d’affaires qui garantira le seuil de rentabilité, le développement de l’activité… »
- « Le nouveau mode de rémunération ne s’imposera qu’aux nouveaux embauchés… »
- « le nouveau modèle valorise les chiffres d’affaires élevés, contrairement au modèle actuel… »
- « la Direction précise que le nouveau mode de rémunération a été validé par le Conseil de l’ordre… »
Nous vous laissons juger leur attitude.
Lors des visioconférences de discussion avec mes consœurs et confrères des autres départements, nous avons constaté que la direction envoie plus ou moins régulièrement des « objectifs » de chiffre d’affaires (pièce jointe 5). Selon les départements, ces objectifs sont annuels ou trimestriels. Lorsque les objectifs ne sont pas atteints, la direction le fait savoir aux dentistes ; lorsque les objectifs sont atteints, les assistantes dentaires touchent une prime (pièce jointe 6) dans le but d’inciter le dentiste avec qui elles travaillent à le pousser à générer plus de chiffre d’affaires.
Le groupe VYV est une société, elle a des dirigeants aux niveaux national, régional et départemental. Ces dirigeants ne sont pas forcément des professionnels de santé. Nous émettons des suspicions sur l’existence de sociétés qui leurs sont propres et qui permettraient de faire sortir des fonds comme ce qui a été dénoncé dans les sociétés satellites des centres dentaires associatifs. Nous n’avons pas de preuve formelle pour le moment.
Par contre nous savons que dans plusieurs départements sur tout le territoire la direction a mis en place le nouveau système de rémunération que nous dénonçons. Il s’agit au moins des départements suivants : 09, 11, 18, 21, 22, 28, 30, 33, 34, 35, 36, 37, 41, 44, 45, 53, 54, 55, 56, 58, 69, 72, 81, 83, 85, 88, 89.
Nous vous avons expliqué précédemment que l’ordre des dentistes est inactif sur le sujet. Il faut savoir également que l’ARS est inactive. Dans notre région, la directrice régionale de l’activité dentaire du groupe VYV se vante pendant les réunions de faire partie d’une commission de l’ARS qui surveille les centres dentaires déviants. Je suis ulcérée de voir qu’elle se vante de surveiller les actions des autres centres, pour mieux masquer ce qui se passe dans les centres dentaires VYV. Forcément, l’ARS ne peut pas être informée des déviances évoquées ci-dessus.
En conclusion, il existe donc un système de rémunération contraire à la déontologie, des pratiques financières comparables à celles des centres dentaires déviants et une inaction des pouvoirs publics ■
Solidairement,
La Dent Bleue, première association française créée par et pour la patientèle du dentaire | contact@ladentbleue.org
Je dois me faire poser des implants, mais je me demande si je ne vais pas donner les 10000' euros qu'il m'en coûterait directement à la dent bleue. Il faut continuer le combat, la santé dentaire n'est pas un comfort mais une priorité vitale du quoi qu'il en coûte pour toutes et tous. Les actes non nécessaires facturés sont une honte autant que les actes obligatoires à des prix prohibitifs.
Bonjour, c'est dramatique mais je ne suis pas surpris par la dérive mercantile de nos professions. En revanche, que cela touche aujourd'hui les acteurs de la médecine dentaire est nouveau. Bienvenue dans notre galère et bonne navigation parmi les prothésistes dentaires.