Communiqué de presse : Procès Dentexia - les dérives financières ne doivent pas éluder la souffrance des victimes

La Dent Bleue a été reçue au Tribunal Judiciaire de Paris dans l’affaire Dentexia, plus grand scandale dentaire français.

 

La Dent Bleue, seule association française de représentation de la patientèle du dentaire, suit de près l’affaire Dentexia, qui a fait plusieurs milliers de victimes en 2016. Une délégation de trois membres de son Conseil d’Administration a été reçue le 3 mai dernier par le bureau du Premier Vice-Président en charge du volet sanitaire de l’instruction (écouter la couverture par France Info). Si nous avons été rassurés quant à la tenue effective d’un procès, des inquiétudes subsistent liées aux lenteurs de la Justice et à la nature des qualifications retenues. Nos attentes à l’égard de la justice pénale sont claires : établir toutes les responsabilités, appréhender la dimension systémique de l’affaire et reconnaître les souffrances biopsychosociales des victimes. S’occuper uniquement des malversations financières serait insuffisant et conduirait à passer à côté du caractère inédit et singulier du procès Dentexia.

 

Le 06 mai 2024

 

Un travail titanesque pour la Justice

 

Cinquante tomes. C’est le nombre de classeurs empilés dans les placards du Tribunal Judiciaire de Paris au sujet de l’affaire Dentexia, dont l’instruction a débutée en 2016. Du jamais vu en matière dentaire, pour un procès hors-norme attendu de pied ferme par 1581 plaignant(e)s. Sauf que ces victimes ne sont pas des classeurs, des chiffres ou du papier, mais bel et bien des corps et des esprits qui souffrent ou qui ont souffert et qui attendent aujourd’hui que la Justice fasse son travail.

Reçue le vendredi 3 mai 2024 par le Bureau du Premier Vice-Président en charge du volet sanitaire de l’affaire Dentexia, une délégation de trois membres du Conseil d’Administration de La Dent Bleue (accompagné(e)s de leurs conseils respectifs) a pu entendre à quel point le travail judiciaire à accomplir était particulièrement massif et difficile. Massif au vu du nombre de plaintes, du nombre d’expertises médico-judiciaires qu’il a fallu entreprendre et du volume de pièces (restant) à décortiquer. Difficile de par la multiplicité et la diversité des qualifications (qui vont du blanchiment en bande organisée à l’exercice illégal de la profession de dentiste) et des profils de victimes, certaines ayant contracté des crédits sans recevoir le moindre soin quand d’autres ont tout perdu : dents et argent. Nous avons bien saisi l’ampleur et la difficulté de la tâche et ne pouvons que nous féliciter d’avoir été reçu(e)s pour engager un dialogue avec le cabinet de l’un des deux Juges d’instruction. Si le dialogue a été constructif, il n’en demeure pas moins que l’issue des discussions reste incertaine et source de vives inquiétudes.

 

Les sirènes de l’efficience en matière judiciaire

 

Suite à un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) paru en 2016 et à plusieurs investigations journalistiques (dont celles de Guillaume Lamy sorties dès 2014 dans Lyon Capitale), il est aujourd’hui bien établi que les centres dentaires Dentexia (prétendument à but non-lucratif) servaient de « machines à fric » pompées par des sociétés commerciales satellites pour traire des patient(e)s considéré.e.s comme des « vaches à lait » et des « porte-implants ». En conséquence, les actes pénalement répréhensibles en lien avec la dimension financière, commerciale et bancaire de l’affaire devraient (nous l’espérons) pouvoir être constitués sans trop de peine et conduire à l’inculpation des mis en cause.

Néanmoins, il en va tout autrement pour le volet médical : le turnover des chirurgiens-dentistes (pour certains inconnu.e.s car ils/elles officiaient sous l’identité de prête-noms), leur ligne de défense prévisible consistant à se décharger de toute faute (« j’ai bien travaillé, ce n’est pas moi, c’est l’autre ») et la dilution top-down des responsabilités (« je n’ai fait qu’obéir aux ordres ») font qu’il est beaucoup plus laborieux d’établir des liens de causalité dans les parcours de soins fautifs (un acte répréhensible ↔ un(e) responsable). Or, sans responsable clairement identifié, il n’est pas possible de procéder à des mises en examen pour les infractions retenues. Ces difficultés auraient pu être surmontées si l’affaire n’avait concerné que quelques dossiers, mais la masse des victimes fait que l’exercice a vite pris un tour dissuasif pour une Justice en manque de moyens. Expertises, contre-expertises et compléments d’expertise prennent du temps, coûtent de l’argent et impliquent de mobiliser à grand peine des experts judiciaires pas forcément disponibles ou réactifs. Dès lors, il semble plus commode de balayer d’un revers de main le volet sanitaire de l’affaire, et ce faisant de privilégier les choix les plus « efficients » pour finaliser l’instruction en ne considérant que son versant « marchand », afin de raccourcir le délai vers le procès.

 

Ne pas perdre du vue les raisons d’être du procès Dentexia

 

Pour sensé et stratégique qu’il puisse paraître, sous sa forme actuelle, ce choix de l’efficience n’en demeure pas moins complètement inadapté à l’affaire dont il est question ici. Pour deux raisons.

Primo, même si le scandale Dentexia n’a que peu de points communs avec les procès des dentistes Guedj père et fils et du « boucher de Nevers », on ne peut raisonnablement nier qu’au nom du profit un nombre substantiel d’ex-patient(e)s Dentexia ont subi des mutilations (extractions et dévitalisations abusives) et reçu des soins de mauvaise qualité (contraires aux données acquises de la science, mettant en péril leur situation bucco-dentaire et propices aux malfaçons en tous genres). Il est donc nécessaire que chaque dentiste soit mis face à ses responsabilités et à ses manquements éventuels. Ce travail n’est toutefois pas suffisant car il rate un aspect essentiel de l’affaire Dentexia : sa dimension systémique. Comme l’avait bien compris et indiqué l’IGAS, ce sont les dérives financières (lire : le climat de course à la rentabilité dans des structures soi-disant à but non-lucratif) qui ont généré du risque pour la patientèle (lire : des victimes de soins incomplets et/ou défaillants). Le procès Dentexia se doit donc non seulement d’être exemplaire mais aussi innovant car il est le premier à concerner la marchandisation de la santé, ici orale. Il s’agit de comprendre dans le détail puis de punir sévèrement la fabrique de victimes par des logiques lucratives et de rationalisation appliquées à l’humain. Si les bourreaux des victimes de Dentexia ont parfois pu être des dentistes, le bourreau principal est un double système. Législatif d’abord avec la Loi Bachelot de 2009 et son absence catastrophique de garde-fous, financier ensuite avec les agissements d’acteurs malhonnêtes et cupides arrivés de façon opportune dans le secteur des centres de santé dentaire.

Secundo, sauf à vouloir verser dans l’absurde, on ne peut retirer du procès de la marchandisation de la santé orale…les conséquences biopsychosociales qu’a engendré une telle marchandisation. La détresse physique, psychologique et sociale des ex-patient(e)s Dentexia s’est avérée gigantesque après la liquidation des centres dentaires Dentexia, comme en témoignent les témoignages anonymisés compilés en 2016. Même cinq ans après, la souffrance était toujours de mise, comme l’illustrent les témoignages recueillis en 2021. Huit ans après, notre association reçoit toujours des courriels et des appels faisant état de situations individuelles qui ne se sont pas arrangées, voire qui ont empiré. Les conséquences des mauvais soins sont durables (il n’existe pas de guérison en matière dentaire), des malfaçons se sont révélées plusieurs années après le passage en centre (liées à des éléments prothétiques et implantaires de mauvaise qualité et/ou mal posés), certaines des victimes sont devenues stomatophobes (ce qui fait qu’elles renoncent aujourd’hui aux soins dont elles auraient besoin) quand d’autres nous ont quitté et n’assisteront tout simplement pas au procès (la moyenne d’âge des membres du Collectif contre Dentexia était de plus de cinquante-cinq ans…). Les grilles d’évaluation du préjudice en matière dentaire sont par ailleurs notoirement lacunaires et aberrantes : aucun médecin ne délivre trois mois d’incapacité de travail même à un(e) patient(e) à qui l’on a indûment arraché dix dents le même jour, aucun expert ne reconnaîtra qu’une victime obligée de travailler avec une dizaine de dents manquantes et un appareil provisoire douloureux ne vit pas mais…survit, la notion de stress post-traumatique n’appartient pas au vocabulaire du droit médical dentaire et les effets collatéraux d’un mauvais parcours de soins sur (la relation à) l’entourage ne sont jamais pris en compte. Même si aucune jurisprudence n’existe et qu’il semble plus commode de ne tenir compte que des aspects financiers, il nous paraîtrait inconcevable – à nous, victimes – d’écarter les qualifications en lien avec le volet sanitaire de l’affaire, notamment les violences volontaires et les blessures involontaires.

 

Pour une troisième voie, celle de la justice

 

Il convient à la Justice de se montrer digne du procès Dentexia, de se hisser à la hauteur de ses enjeux en innovant et en définissant pour cela une « troisième voie » : une voie qui exploite pleinement les malversations financières sans éluder pour autant la souffrance des plaignant(e)s. Pour que les ex-patient(e)s de Dentexia puissent s’éprouver juridiquement comme des victimes, il n’est pas suffisant de reconnaître qu’elles/ils ont été escroqué(e)s ou de s’en prendre aux banques qui ont vendu des crédits : la première attente des victimes qui ont souffert dans leur chair, leurs affects, leur psyché et dans leur relation aux autres et au monde est de se voir reconnaître le statut de victime sanitaire.

Sans-Dents mais pas Sans-Voix.

 

@LaDentBleue. Bouche d'une victime huit ans après les faits.

 

Solidairement,

La Dent Bleue, première association française créée par et pour la patientèle du dentaire | contact@ladentbleue.org

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